Depuis des années, Canal + est un acteur incontournable de la retransmission du Championnat de France de football à la télévision. Parfois, un autre acteur vient se mêler à l'histoire. Après trois années de monopole de Canal + acheté à prix d'or, c'est Orange qui vient prendre une partie du gâteau.
Le quotidien Sud-Ouest résume un peu la situation de l'offre d'Orange. Le moins que l'on puisse dire c'est que ce n'est pas facile d'y accéder. Orange n'a que des offres liées. Il faudra donc impérativement souscrire une offre de téléphone ou d'Internet pour regarder les matchs du samedi soir. Là, les consommateurs grincent des dents, car s'il parait normal de souscrire un abonnement à une chaine à péage pour regarder une retransmission, le rapport avec une offre mobile ou internet ne saute pas aux yeux. Et changer d'un opérateur à l'autre n'est pas forcément évident.
Le problème, pourtant, ne vient pas vraiment d'Orange. Il vient du mécanisme économique même.
Hasard de l'actualité, l'Office Anti-Cartel allemand vient de barrer la route à la revente de droits TV de la Bundesliga à une holding, qui ne garantissait pas à son gout l'accès des spectateurs teutons aux retransmissions sportives. Je cite:
Le souci de compétitivité des clubs allemands en Europe «ne peut pas justifier des profits monopolistiques sur le dos des consommateurs»
On aimerait entendre le même genre de choses en France.
Le problème, ce n'est pas Orange, le problème c'est que pour maximiser
les revenus générés par la retransmission de matches, Canal + et Orange,
et autrefois TPS, ont besoin d'une situation de monopole. C'est
seulement grâce à ce genre de situation de monopole qu'ils peuvent
contraindre les gens à débourser un paquet pour voir le foot qu'ils
veulent voir. C'est donc seulement à cette condition qu'ils sont
également prêts à payer des droits TV faramineux à la LFP, et donc aux
clubs professionnels. Et cette LFP, qui veut aussi maximiser ses
revenus, organise dans les faits son appel d'offres de manière à générer
ce genre de monopoles.
Évidemment le perdant dans une situation de monopole, c'est d'abord le
consommateur. Mais aussi le reste de l'économie. Car tout monopole est
une rente, de l'argent facilement gagné, qui attire les masses
financières qui pourraient contribuer ailleurs à l'investissement et à
la croissance. C'est l'équivalent footballistique, toutes proportions gardées bien sûr, de la maladie hollandaise
.
Ce genre de situation de monopoles est toujours dommageable, et c'est
pourquoi il y a diverses lois et autres autorités de la concurrence qui
sont chargés de déroger à la règle capitaliste pour éviter de telles
situations. D'une manière ou d'une autre, il faudrait un peu
d'interventionniste politique ici, car aucun acteur du marché n'a
intérêt à ce que la situation change. Même Free et Neuf n'ont attaqué
que Orange, pas la LFP, ce qui montre qu'ils ne veulent pas que la
situation change, puisqu'ils espèrent bien qu'un jour s'ils ont un lot
du championnat de France ils pourront aussi bénéficier de l'aubaine.
Bref, que faut-il faire? En bon gauchiste je vous le dit: il faut de la
concurrence. Libre. Et non faussée.
Ça signifie qu'il faut qu'au moins deux acteurs puissent diffuser les
mêmes matches, afin qu'ils se fassent la guerre, si possible des prix,
pour piquer des spectateurs à l'autre. Pour cela, il y a plusieurs
possibilités. Voici celles qui me viennent à l'esprit, sans soucis
d'exhaustivité:
- Contraindre la LFP à vendre tous ses lots en double. Ce n'est pas ce que je préfère car cela suppose la constitution d'un organisme genre Autorité de la Concurrence pour réguler tout ça, donc une administration, des recours avec des délais, etc. Et puis, avoir deux magazines du dimanche, c'est un peu ridicule.
- Amener la LFP à vendre tous les droits TV en un seul bloc à deux sociétés privées, chacune un peu comme la holding de Hirsch, qui auront la possibilité d'organiser les lots comme elle les entendent. Ces deux sociétés ne pourront pas diffuser elles-mêmes, elles auront juste le droit de revendre les droits. Ca contraindrait non seulement les holdings en question à se faire une guerre des prix, mais également une guerre du contenu. On pourrait donc voir l'émergence d'offres originales et donc intéressantes.
- Permettre au moins qu'un match par semaine soit diffusé gratuitement sur France Télévision. Mais là on tombera du monopole privé vers le monopole public, qui est certes moins grave, mais problématique quand même. Ainsi ce qu'on gagnera en prix, on le perdra probablement en qualité de la retransmission.
Mais bon, pour tout ça, il faut une volonté politique. Et pour moi,
c'est une idée plutôt de gauche (sociale-démocrate), donc je vois mal
les choses changer dans les années qui viennent.
Les perdants dans l'affaire seraient bien sûr les clubs de foot, qui
viendront pleurer de la perte de la "compétitivité" sur le plan
européen. Comme toujours, le mot "compétitivité" est une excuse pour
extorquer de l'argent aux gens. Quoi, parce qu'il faut que les clubs
français gagnent (peut-être) des matches de foot à l'étranger, il
faudrait ponctionner l'économie de plus de 600 millions d'euros chaque
année? Sans compter les effets pervers de la rente? A quoi ça sert?
Pourquoi faire? Si Lyon gagnait la Ligue des Champions un jour, on verrait certes une belle fête pendant une nuit, et puis c'est tout. Tout ça
pour ça?