Libération se demande: n'y a-t-il pas emballement dans cette histoire de "banderole de la honte", cette banderole affichée par des supporters du PSG invectivant les ch'tis ? Est-ce qu'on n'en fait pas un peu trop?
Certes, le contenu de cette banderole est stupide et offensant. Cependant, à lire le concert des dépêches autour de cette affaire on est plutôt effrayé, puisqu'on voit se presser pour se scandaliser:
- Toute une litanie de politiques (Sarkozy évidemment, Bachelot et Laporte dont le talent politique ne permet pas qu'ils fassent autre chose que réagir à ce genre d'évènement de toute façons, les maires PS de Lens et de Lille, un communiste de Paris et j'en passe);
- Dany Boon, qui semble intronisé porte-parole du Nord de la France;
- La presse unanime qui fait un concours de superlatif pour dire son horreur.
- Martel, qui compare ça à un "viol". Les victimes de vrai viol apprécieront.
- Et bien sûr Aulas qui réclame rien de moins qu'une interdiction de stade à vie. Oui, ça coute pas cher de hurler avec les loups, surtout en demandant une interdiction de stade qui, par la loi, n'est pas extensible au-delà de trois mois de toute façons.
Tous réclament "la plus extrême fermeté". C'est quoi la plus extrême
fermeté? La peine la plus lourde qui puisse être prononcée en France,
c'est la peine de prison à vie dont 30 ans incompressibles. C'est bien
sûr complètement démesuré. Mais même les peines moins sévères dont
parlent la presse (1 an de prison maximum pour "incitation à la haine et
à la violence", j'y reviendrais) sont ahurissantes, à mon gout.
Réveillons-nous, là: "pédophiles, chômeurs, consanguins" c'est des
insultes. Vous n'avez jamais insulté personne? Vraiment? Bravo, vous
êtes quelqu'un de bien. Jamais rit quand Coluche se foutait de la gueule
des Belges? Bon, pourquoi pas, vous êtes un ascète, dites-donc. Jamais
fait une blague sur un particularisme local, genre les Suisses sont
lents, les Provinciaux paysans, les Parisiens tête de chiens, les Corses
feignants, les Niçois vieux et racistes, les Bourguignons arriérés, les
Bordelais négriers, les Nantais vendéens, les Lyonnais collabos, ou
encore les Marseillais qui s'insèrent des poissons morts dans le fondement?
Si vous répondez non à tout ça, bravo.
Mais à mon avis, vous êtes quelqu'un de chiant.
Je vais vous dire: je n'ai jamais vécu plus d'un mois en France dans une
région autre que l'Alsace-Moselle, sans me faire traiter une seule fois
d'Allemand. Enfin pas exactement d'Allemand, mais plutôt de "Boche", ou
encore "Chleuh" mais c'est plus rare. Pour rappel, ces mots désignaient
l'Allemand en tant qu'ennemi pendant les guerres.
Tiens, il y a deux semaines, même un Suédois m'a traité d'Allemand,
c'est dire.
Est-ce que j'ai besoin de rappeler qu'en 2008 il n'y a absolument aucune
honte à être Allemand? J'en ai jamais pris ombrage, loin de là. Mais je
sais que l'insulte a pu faire mal, et peut encore faire mal à ceux qui
ont vécu certaines époques.
Pourtant, il ne me viendrait jamais à l'idée de porter plainte contre
les auteurs de telles blagues débiles. Parce que je sais que c'est de
l'humour. Et même si c'en est pas, eh bien je pense qu'on a le droit
d'être con et de dire ce qu'on veut.
Parce que, là encore je crois qu'il y a besoin de le dire: cette
banderole c'est de l'humour. Enfin disons plutôt que c'est une espèce
d'"attaque destabilisatrice", visant par un "trait d'esprit" à obtenir
un ascendant psychologique sur le supporter adverse (pas sur les joueurs
qui eux s'en foutent), ce qui devrait permettre de remporter la partie
au niveau vocal dans les tribunes, en sapant la volonté adverse de
pousser la chansonnette.
Il va de soit que là, c'est complètement raté. La banderole n'a fait
qu'énerver tout le monde et consterner les supporters parisiens qui ne
participent pas à ça.
Mais il s'agit bien d'une culture des stades. Les exemples sont légions de banderoles de ce genre, puisqu'il y en a chaque semaine. Beaucoup d'exemples parmi les plus saisissants sont rassemblés sur ce forum (attention, pas toujours pour les âmes sensibles). Il est clair que bien souvent ça peut sembler extrêmement navrant. En fait ça l'est, clairement. Il faut néanmoins rappeler que l'amalgame ne doit pas être fait entre ces mots et la véritable violence qui peut exister dans les stades. Puisque bien souvent les banderoles sont le fait de supporters organisés et les véritables violences d'éléments isolés. Évidemment, expliquer tout ça et mettre en perspective, c'est difficile, mais c'est nécessaire: le téléspectateur de la Coupe de la Ligue est un spectateur occasionnel de football, il n'a pas l'habitude des stades et de ce genre de culture de l'invective. Est-ce que ce genre de culture doit disparaitre? On peut se poser la question. Pourtant 95% du plaisir que prodigue le sport réside dans le fait de titiller son adversaire. Quand c'est fait avec talent et humour, c'est mieux, évidemment.
Mais c'est là que je reviens au traitement médiatique de cette affaire:
d'habitude quand des banderoles navrantes s'affichent dans un stade, les
caméras font leur possible pour les éviter. C'est comme ça que Thierry Rolland
et Jean-Michel Larqué ont pu cacher pendant des années qu'ils étaient insultés par banderole interposée
dans tous les stades de France et de Navarre. Là, ça n'a pas été le cas.
Pourquoi?
N'étant pas amateur de théories du complot, je ne peux qu'invoquer un certain amateurisme de France Television qui n'a pas encore appris à filmer un match de foot, soit dit en passant.
Ainsi, la banderole n'a été affichée que quelques minutes, il aurait été facile de la louper. Et ceux qui l'ont vue à ce moment dans le stade, ont du se dire quelque chose du genre "pfff quelle bande de cons ces parisiens", ils ne se sont pas effondrés par terre en pleurant, ni cherché la poterne la plus proche pour se pendre.
Mais voilà: l'affaire a été reprise partout, et comme j'ai dit la presse particulièrement rivalise d'adjectifs, à défaut d'arguments. "inacceptable" est l'un d'eux.
Mais si ça c'est inacceptable, qu'est-qu'on doit dire des évènements violents qui ont eu lieu comme la chasse aux Noirs dans le RER racontée par l'Equipe et par le Bondy Blog? Si cette banderole est déjà le summum du Mal, ou va le reste, ce que je sens confusément, excusez-moi, comme étant des choses *plus graves* que cette banderole risible?
Je rappelle qu'en ce moment la Chine massacre du Tibétain dans un silence gêné, hein.
C'est un constat que j'ai, qui dépasse cette affaire et le football. Aujourd'hui, dans le monde médiatique, j'ai l'impression qu'il n'y a plus que deux réactions possibles à un évènement: soit on s'en fout, soit c'est l'hystérie. C'est particulièrement prégnant chez les politiques. Il faut dire que quand on n'a rien à dire, jouer l'indignation et se placer en chef des gentils contre les méchants ne coute pas cher et permet d'éviter d'avoir une pensée construite sur le sujet. Sarkozy, l'auteur de "Quand on veut expliquer l’inexplicable, c’est qu’on s’apprête à excuser l’inexcusable", a bâti sa carrière entière sur ce schéma. Les cries d'orfraies de certains à gauche à chaque fois qu'on touche à certain de leurs tabous ne valent pas mieux, d'ailleurs.
Et entre tous ces hypocrites, les plus détestables du jour se trouvent être Martel et son entourage. Leur tentative pour faire rejouer le match est tellement navrante d'opportunisme que c'en est pitoyable.
Et le pire c'est que ça va marcher: les incidents racistes de Bastia et Metz ont créer un précédent. Désormais quand des supporters même seuls et isolés ont un comportement inadéquat, il y aura une sanction sportive. Oh, je ne crois pas que le PSG sera privé de sa coupe, mais ils pourraient jouer à huit clos quelques matches.
Observons les résultats pratiques de cette affaire et de l'implication des politiques. Il y a désormais une enquête, "confiée lundi à la Brigade de répression de la délinquance contre la personne (BRDP), dépendant de la préfecture de police de Paris". C'est-à-dire qu'on va affecter des ressources destinées à protéger les biens et les personnes pour retrouver les auteurs de cette fichue banderole. Vous allez me dire, c'est pas grave, c'est pas comme s'il y avait de l'insécurité à Paris, hein.
Et quand je parle de ressources, c'est pas des moindres: "des morceaux
de la banderole ont été retrouvés et des hommes de la police technique
et scientifique sont en train de les étudier pour voir s'ils comportent
des traces ADN". J'ignore combien ça coûte, mais je serais très étonné
que des analyses d'ADN soient gratuites, j'aurais même tendance à penser
que c'est plutôt cher, mais bon c'est pas comme si les caisses de l'Etat
étaient vides, hein. Pour information, l'analyse ADN est d'habitude
utilisée uniquement dans les affaires graves, au minimum un vol avec
violences, un viol, un homicide, ou quand un enfant disparait de manière
inquiétante. S'il y a bien quelque chose qui montre qu'on est en pleine
hystérie, c'est bien la recherche de traces d'ADN.
Et après, qu'en feront-ils? Si les auteurs de la banderole n'ont jamais
été arrêtés pour un délit quelconque, ce qui est fort possible, leur ADN
n'a jamais été prélevé et ils ne sont dans aucune base de donnée. Ou
alors on compte faire passer un test à tous les supporters parisiens?
Mais bon, on s'en fout: l'important c'est de montrer que l'Etat ne
laisse pas faire. L'intendance suivra, comme disait De Gaulle.
Le plus beau, c'est de voir que pour obtenir une qualification pénale,
il faut tordre sévèrement la logique. Comme le délit de "insulte à
région" n'existe pas, on nous sort le "incitation à la haine et à la
violence".
Méditez cette question: où est-ce qu'il y a incitation à la haine et à la violence? Je suis sincèrement intéressé si quelqu'un ici peut répondre en commentaires à cette question par autre chose que "nulle part".
Et je parle même pas des bienheureux qui parlent de racisme et répètent en boucle que c'est l'œuvre de nazillons. Quand on a de la peine à montrer qu'on est plus indigné que les autres, il ne reste que l'outrance.
Alors, je sais bien ce que les plus émus diront: c'est quand
même un rejet de l'autre, dit avec une grande violence verbale. La
France a plus besoin en ce moment d'unité que de graines de divisions.
Oui, c'est vrai. Mais je suis de ceux qui pensent que ça doit pouvoir se
dire. D'une part parce que ces sentiments existent, et que réprimer leur
expression ne les éliminera pas. Voire même les attisera. D'autre part,
parce que interdire cela aujourd'hui, peut conduire à interdire d'autres
choses demain et au final à bannir toute forme d'expression libre. En
témoigne ce "incitation à la haine et à la violence" qu'on essaye de
coller à une situation qui ne lui correspond pas alors que ce délit a
surement été créé à l'origine pour réprimer des faits bien plus graves.
On n'obtient pas l'unité et la paix sociale en traquant ceux qui ne
pensent pas comme la majorité. On ne l'obtient que par la tolérance, la
liberté et l'ouverture d'esprit, le sens de la mesure, et peut-être un sens de l'humour. Au
risque de passer pour un bisounours, c'est ce que je pense.