Les blogs politiques (voir par exemple Luc Mandret, Authueil, Jules et le Figaro pour un résumé) bruissent depuis plus de vingt-quatre heures maintenant de la nomination d'un jeune normalien, Nicolas Princen[1], pour une mission de surveillance de la diffusion d'informations sur le chef de l'Etat sur la Toile. Plus exactement sa mission serait, je cite le Jdd (via Jules):

Surveiller tout ce qui se dit sur la Toile, de traquer les fausses rumeurs et de déjouer toute désinformation à l'encontre du Président. L'objectif: contre-attaquer aussitôt.

Passons sur le fait d'utiliser le mot Toile, ce qui est ringard depuis la création d'Internet, et concentrons-nous sur ce qui me gêne dans cette histoire. La plupart des blogs reprennent l'affaire sur un ton goguenard qui traduit un certain amusement mêlé de consternation. C'est l'idée même de surveillance qui gêne en général, mais pour moi ce n'est pas là le problème. Jules détonne en effet en précisant bien:

Nonobstant les termes — disons accrocheurs — de la rédaction journalistique, il s'agit bien de collecter les informations nécessaires à l'anticipation des éventuelles menaces qui pèsent sur l'image présidentielle ; tout comme une entreprise prend soin de surveiller l'évolution de son image.

Tout le problème que j'ai avec cette affaire est que je ne goute pas ce parallèle. L'État n'est pas une entreprise d'une part, et ce n'est pas son image, mais celle du Président dont il est question d'autre part. Ce serait l'UMP qui financerait l'emploi de Nicolas Princen je n'aurais rien à dire. Mais là c'est un poste officiel, il me semble. En quoi la mission de Princen apporte-t-elle quoi que ce soit à l'intérêt public de près ou de loin? Ce n'est pas le cas, sauf à confondre l'intérêt personnel du président et l'intérêt public; ce que je soupçonne Sarkozy de faire, plus dans la lignée d'un Napoléon III que d'un De Gaulle, d'ailleurs.

Princen n'a aucune raison d'être le souffre-douleur de la blogosphère[2], comme le prédit Jules. C'est sa mission qui est déplacée, et l'étrange conception de l'intérêt public qui semble animer les hautes sphères de l'État qui ont eu cette idée ridicule.

Ça, c'est pour la hauteur des principes.

Dans les faits et dans la pratique, il est clair qu'il est ridicule de croire que Princen peut surveiller tous les blogs, sauf à mobiliser des moyens à la chinoise pour ce faire, mais il n'a jamais été question des blogs, dont l'audience reste faible [3] mais d'Internet. Qu'est-ce qui sur Internet, a pu nuire à l'image du Président récemment? La fameuse vidéo du pauvre con, évidemment. Les sites de partage de vidéos comme Youtube et Dailymotion ont une audience bien plus élevée que les blogs, et sont d'autant plus facilement identifiables qu'ils sont les épicentres de ces buzzs basés sur la vidéo. Il est facile de faire pression sur un de ces sites pour faire retirer une vidéo sous divers prétextes passe-partout comme le "droit à l'image". Les dit sites ont d'ailleurs l'habitude, ils retirent quotidiennement des vidéos de clips musicaux ou d'extraits de films ou d'émission, à la demande de sociétés détentrices de copyright.

Cela est d'ailleurs en phase avec une certaine crispation du cercle sarkozien autour de l'image non contrôlée, comme le montre la récente censure de Télé Libre lors d'une réunion publique de Rachida Dati. Mais ça n'a rien de nouveau: déjà pendant la campagne présidentielle, le rôle de Sarko TV avait été de fournir une source d'image contrôlée, certes pas obligatoire, mais en général docilement reprise par les médias mainstream. Souvenons-nous également de l'épisode ridicule de LeWeb3 où une apparition du futur président avait montré sa conception du média: il parle, et on écoute.

Tiens, au fait, qu'en pense Loïc le Meur?

Edit: voir également Versac sur le sujet, puisque, comme il le dit, la "chose" est son métier.

Notes

[1] Qui a déjà sa page Wikipedia

[2] Bon, j'avoue m'être inscrit à son fan-club ironique sur Facebook, pour l'occasion.

[3] Oui même Versac