L'influent Maître Eolas a mis lors de la semaine qui vient de s'écouler (voir ce billet et ceux qui suivent) sa plume au service d'une cause noble qu'on a tendance à oublier: le sort que réserve la République Française aux personnes de nationalité non-Schengen qui pénètrent ou tentent de pénétrer sur son sol sans petit papier qui les y autorise, c'est-à-dire ceux qu'on appelle vulgairement les immigrés en situation irrégulière.
Ses billets se focalisent moins sur le débat pour ou contre l'immigration (choisie ou non) que sur les conditions de détention de personnes qui n'ont commis aucun crime autre que celui d'être là et sur celles de leur déportation du territoire français. Evidemment les commentaires dérivent et on sent en filigrane un débat sur l'immigration elle-même, qui dépasse cependant peu le raz des pâquerettes (l'altitude idéale on en conviendra pour prendre des clichés et pour les dire).
Ainsi on peut y lire quelque chose que j'entend souvent: ces lois sur l'immigration sont dures, parfois inhumaines, mais c'est ce que veulent les Français. Conclusion: c'est comme ça, rangez vous à la loi du plus grand nombre.
Vraiment? Je ne suis pas certain de deux choses, d'une part que l'argumentation soit recevable, car ce n'est pas parce que la majorité est le principe légitimant dans les démocraties représentatives que chacun devrait se voir interdit de se révolter contre ce qu'elle réclame; d'autre part que les Français veulent vraiment ce qui se passe actuellement dans les Zones d'Attente des Personnes en Instance, ni non plus ce qui se passe actuellement à l'Assemblée Nationale, c'est-à-dire l'adoption de ce nouveau texte sur l'immigration.
Que veulent donc les Français? Nulle brève de comptoir, nul micro-trottoir ne peut vraiment le dire, par faute de représentativité. Comme d'habitude, on n'a rien d'autres que des sondages sur la question. Ce n'est pas fameux, mais c'est toujours ça.
Heureusement le débat étant présent actuellement, quelques sondages ont fleuri récemment. Ainsi le CSA estime que 51% des français interrogés sont favorables ou plutôt favorables à ce qu'on accepte ou refuse les immigrés selon leur qualification ou leur métier, contre 43% qui ne le sont pas. S'il y a un petit avantage, on reconnaîtra qu'il est limité.
L'IFOP, lui, se demande quelles sont les personnalités politiques dont les sondés se sentent proches sur la question de l'immigration. Il y a de quoi trouver bizarre la formulation de la question. Enfin bon, Sarkozy, porteur de la loi actuellement débattue et de la dernière loi adoptée, est à 47%. On est en dessous de la majorité. Ce sondage est de toute façons à prendre des pincettes: le fait d'avoir pris la question par la lorgnette de la personnalité politique rend la réponse polluée par les clivages politiques et peu concluante.
Le sondage le plus complet est celui de LH2 (Louis Harris) pour Libération, qui pose un certain nombre de questions bien plus détaillées. Et là, les choses sont enfin claires sur certains points. A l'affirmation "Il faut régulariser les immigrés sans-papiers qui sont dans une situation stable (cinq ans de résidence)", les sondés approuvent à 76% contre 19% soit une large majorité. Or, c'est tout le contraire qu'ont adopté hier les députés. "La France doit être un pays d’accueil pour l’immigration" est approuvée par 54 sondés sur 100, contre 40. La volonté des Français de vouloir voir les frontières se fermer tient donc en grande partie de la légende. De même la fin du regroupement familial, aussi sur la sellette, n'est pas souhaité, tout comme la régularisation massive des sans-papiers. La question de l'immigration sélective laisse les sondés partagés.
La dernière page du sondage sera peut-être le sujet d'un prochain billet, car elle concerne ce que pensent les Français de l'immigration elle-même et de son impact en particulier sur l'économie. Pour résumer, à mon sens, ils se trompent.
En conclusion, on peut douter que le durcissement de la politique envers les étrangers soit une traduction fidèle de la volonté des Français. Elle me paraît plutôt être, à un an d'une suite d'échéances électorales primordiales, une manière de draguer une certaine partie de l'électorat qui réclame moins d'immigrés, à l'extrême droite comme dans une certaine partie de la droite. La majorité et son chef joue ainsi avec le feu car d'une part elle entretient le mythe malthusien qui verrait la fin de l'immigration résoudre tous les problèmes de la France; d'autre part elle ne s'accaparera jamais un électorat qui en voudra toujours plus dans ce domaine et qui ira toujours vers celui qui lui propose la solution la plus radicale. Sans compter que tout ce calcul de basse politique se fait au prix de la liberté, de la dignité et parfois de la vie d'êtres humains bien réels qui sont, eux, 100% à vouloir vivre et travailler dignement en France.