Quelques journaux français ont parlé du référendum d'auto-détermination de l'archipel de Tokelau, dépendance de la Nouvelle-Zélande de 1500 âmes. Aucun n'a annoncé les résultats du dit scrutin: 60% des habitants ont voté pour le statut d'État librement associé à la Nouvelle-Zélande, ce qui était en-dessous des 2/3 requis. Tokelau n'accède donc pas à l'indépendance.

Je me demande parfois pour quelles raisons apparaissent de telles velléités d'indépendance. Après tout, les coûts engendrés par la création d'un nouvel État pour ses propres habitants sont bien connus: limitation à la liberté de circulation des personnes et du commerce par la création d'une frontière nouvelle; nécessité de reproduire localement l'administration et les services publics de ce qui était la Métropole, faisant perdre un certain niveau d'économie d'échelle. Certes, pour Tokelau, le statut d'État librement associé lui aurait permis quand même de continuer à recevoir un soutien financier important (80% du budget) de la part de la Nouvelle-Zélande, laquelle aurait assuré de plus la représentation internationale, comme elle le fait déjà pour les Îles Cook et Niue, autres États à avoir préalablement choisi ce statut. En fait, comme l'essentiel des pouvoirs avait déjà été délégué par la Métropole à une assemblée locale (le General Fono) et qu'ils ont déjà une fédération de foot, le seul changement qu'auraient vus les Tokélans eut été l'adoption d'un drapeau et d'un hymne national.

N'empêche que la question du pourquoi les peuples veulent se séparer les uns des autres reste posée. D'autant que c'est un mouvement de fond depuis le XXème siècle et la fin des impérialismes « à l'ancienne » où l'annexion d'États était un sport que pratiquaient les gros pays Européens avec un cynisme jovial. Ainsi, pour prendre l'exemple de l'Europe: à l'aube de la première guerre mondiale, il y avait 21 pays sur le continent. En 1946, il y en avait 26. Et aujourd'hui, on en compte 38. A ce compte-là on se demande si le voeux d'une Europe unie politiquement ne serait pas un tout petit peu anachronique. La question est donc: pourquoi?

Bien évidemment, il y a le cas des peuples opprimés ou exploités par le pouvoir central. Pour eux la question ne se pose pas: personne ne se demande pourquoi les Kurdes ont cherché à se séparer de l'Irak de Saddam Hussein. Idem pour les anciennes colonies Françaises et Britanniques. Mais on est loin de ça pour les Tokelans, Québécois et autres Basques. Pourquoi donc se séparer d'un ensemble démocratique qui respecte vos droits si c'est pour créer un autre ensemble démocratique qui ne les respecte pas mieux?

Alors certes, il y a le « droit des peuples à disposer d'eux-mêmes », il y a la souveraineté populaire. Ce sont des principes fondamentaux, incontestables et qui s'imposent à tous. Cependant, outre que définir ce qu'est un « peuple » n'est pas aussi évident qu'il n'y paraît [1], ces principes ne sont pas forcément incompatibles avec une union politique. En effet, le fédéralisme s'est construit ainsi comme l'idée d'une organisation politique qui assurerait la souveraineté de chacune de ses entités, lesquelles délèguent certaines compétences au niveau fédéral, tout en étant libres de séparer de l'ensemble. Et c'est peut-être là qu'on rejoint le référendum d'auto-détermination des Tokelau: cette idée de libre-association entre États a le goût du fédéralisme.

Cette idée d'une organisation collective partant du bas vers le haut s'oppose souvent en France à une vision jacobine d'un État qui contrôle tout. Il ne faut pas chercher ailleurs à mon avis le faible développement économique des DOM-TOM administrés depuis Paris, d'une part, la fracture entre le citoyen et le politique d'autre part, ainsi que ce fantasme hexagonal pour les hommes providentiels, de préférence à poigne (non, je ne vise personne en particulier). Quel dommage pour un pays qui a abrité beaucoup de penseurs fédéralistes (Montesquieu, Tocqueville) et où a même été poussée jusqu'au bout cette idée de fédéralisme par Proudhon et Marc en un fédéralisme dit « intégral » ou « global » qui réconcilierait l'individualisme avec la collectivité.

Notes

[1] Ainsi on a vu le Conseil Constitutionnel récuser la formulation de « peuple corse » qui s'était glissé dans un texte de loi, bien entendu sur un critère juridique, car cela allait à l'encontre du principe d'indivisibilité de la République et du Peuple Français (pourtant déjà brisée par l'indépendance de l'Algérie); mais cela pose quand même la question de savoir qui a la compétence de discerner qu'est-ce qui est un peuple et qu'est-ce qui ne l'est pas. Ne serait-ce pas les peuples eux-mêmes les seuls à pouvoir se définir comme tels?